Souvenirs... Souvenirs...(6) Ecrit
par Frédéric Gerchambeau
(Tangerine Dream, Patrick
Mimran, YMO)
Je sors juste de chez Parallèles, ma
boutique de disques d'occasion préférée.
J'ai sous le bras la version originale vinyl du double-live "Encore" de
Tangerine Dream.
J'ai toujours bien apprécié la photo du groupe en concert qui orne la pochette
de l'album, chacun des membres affairé dans son coin à faire jouer son propre
mur de synthétiseurs. Quelles sensations pouvaient-ils donc avoir en se mesurant
en public à des monstres électroniques aussi énormes et aussi complexes ?
J'ai toujours aussi bien aimé lire au dos de l'album la liste impressionnante
de synthétiseurs, de séquenceurs et autres claviers divers qu'ils avaient
chacun à l'époque.
Le matériel d'Edgar Froese est déjà assez affolant. Un twin keyboard Mellotron
Mark V, un Oberheim four voice polyphonic synthesizer, un PPG synthesizer et un
Moog modular synthesizer... Pour quelqu'un qui a commencé sur les scènes en
jouant de la guitare électrique, voilà une sympathique collection... à laquelle
s'ajoute aussi un Steinway grand piano (soyons juste, avant de jouer de la
guitare électrique, il a d’abord étudié dans sa prime jeunesse le piano
classique) !
Les choses deviennent plus sérieuses encore avec Chris Franke. Un Moog modular
Synthesizer, un Projekt electronic sequencer, un computerstudio digital
sequencer, un Mellotron M400 et un Oberheim eight voice polyphonic synthesizer,
ça commence à faire beaucoup beaucoup... surtout pour un ancien batteur de jazz
!
Quant à Peter Baumann, s'il n'est crédité "que" d'un Projekt
electronic modular synthesizer associé à un Projekt electronic sequencer (et
quelques autres bricoles comme un Fender Rhodes, un Mellotron M400 et un EMS
vocoder...), il s'agit visiblement là tout de même d'engins très spéciaux,
voire carrément uniques en leur genre...
N'avez-vous pas, comme moi, passé un temps fou chez les disquaires, au bon
vieux temps du roi Vinyl, à éplucher des yeux les albums des héros de la
musique électronique de l'époque pour y voir la liste des synthétiseurs qu'ils
avaient utilisés ? Ne vous délectiez-vous pas d'avance d'entendre quelles
musiques ils avaient réalisées avec ? Et que plus il y en avait, plus l'écoute
du disque devenait urgente ?
C'était un de mes grands plaisir en ce temps. Pour moi, lire "Moog
modulaire" ou "ARP 2600" sur la pochette d'un disque, c'était
déjà une excellente raison pour m'y intéresser fortement. Et s'il y avait les
deux, c'était l'achat assuré !
Bien sûr, tous les albums de l'époque comprenant des synthétiseurs que j'ai pu
acheter ne furent pas à la hauteur de mes espérances. Mais cela m'a permis
néanmoins de faire la connaissance de groupes et des musiciens très
intéressants. C'est ainsi, par exemple, que j'ai découvert Larry Fast, Isao
Tomita ou Michael Hoenig...
Mon oeil était également très exercé à repérer les synthétiseurs d'exception
parfois utilisés par des groupes ou des musiciens. Ainsi le Modulaire RSF mis à
contribution par l'ingénieur-instrumentiste Bernard Szajner ou le Serge Modular
mis en orbite par le compositeur californien Michael Stearns.
Parfois il y eu même des
surprises plus encore incroyables, des sortes de cadeaux du ciel. Ainsi ce
disque ultra-rare, "Automat", fait par deux musiciens italiens (Romano
Musumarra et Claudio Gizzi) et entièrement réalisé pour sa partie sonore avec
le MCS70 (programmé par Mario Maggi), un synthétiseur fabriqué à une seule
unité et que l'on peut décrire comme le croisement monophonique d'un Minimoog
sur-vitaminé et d'un Prophet 5. Le son de l'engin oscille entre le tout à fait
magnifique et le parfaitement redoutable.
* Précisions à
propos du MCS70 :
- Le
MCS70 existe toujours. Il est la propriété du claviériste italien Patrizio
Fariselli qui l’utilise au sein de son groupe nommé Area (et très
notamment sur l’album « Tic Tac »).
- Il a été conçu par Mario Maggi, qui un
peu plus tard sera également le concepteur du Synthex. A dire la vérité, le
MCS70, tout en étant une excellente machine, vint trop tard car le Prophet 5
pointait déjà le bout de son clavier, prêt à révolutionner le monde des
synthétiseurs. Le MCS70 ne fut donc pas mis en production. Le Synthex en sera
le digne héritier sous une forme sensiblement différente mais surtout
polyphonique 8 voix. La petite histoire veut que Jean-Michel Jarre fut le
premier à écouter «Automat » (alors dans sa version fraîchement
masterisée) et même à en avoir une copie. En effet, son « Oxygène »
venait de sortir avec un succès fracassant et il fut donc repéré comme pouvant être
le premier client potentiel du MCS70. On lui fit dès lors très vite écouter,
chez lui et en présence de Mario Maggi, « Automat », qui
n’était ni plus ni moins que la démonstration (ô combien probante !)
des possibilités de ce synthétiseur. A titre de remerciement pour
l’impressionnante musique qu’il venait d’entendre, il offrit
un exemplaire dédicacé d’ « Oxygène » à Mario Maggi, qui
ne pourra faire moins en retour que de lui faire une copie du master d’ « Automat ».
C’est ainsi, est-il possible de supposer, que Jean-Michel Jarre apprit à
connaître la qualité des synthétiseurs conçus par Mario Maggi et qu’il
achètera plus tard un Synthex…
* Brève
description du MCS70 :
-
Synthétiseur monophonique 64 mémoires 3 vco (avec possibilités de
modulations FM et AM linéaires), 1 resonant low pass filter + 1 resonant high
or low pass filter (avec possibilité d’un 48 db/oct resonant low pass
filter en combinant les 2 filtres), 1 noise generator (bruit blanc ou rose), 2
enveloppes ADSR et 1 LFO (pouvant monter à 300 Hz).
Meilleure encore fut la
découverte d'un disque (Axxess – « Novels for the Moons ») d'un
compositeur français résidant en Suisse, Patrick Mimran, et entièrement
réalisé, lui aussi, sur un synthétiseur, dont le modèle, qui n’existe
malheureusement plus, était également unique, le Bart. Le Bart était vraiment
une grosse bécane, très évoluée et très performante. Il pouvait se comparer
quelque part à un hybride de l’E-Mu Audity et du Synclavier, chacun
entendu dans sa version la plus prototypale. Mais sa grande caractéristique
était surtout d’être doté d’un séquenceur digital extrêmement
puissant associé à une interface particulièrement innovante.
* Précisions à
propos de ce que fut le Bart :
- Le
Bart dérivait en droite ligne de l’E-Mu Audity du simple fait qu’il
en utilisait les 16 premières cartes électroniques d’origine et de test,
celles commandées par Peter Baumann pour les besoins du synthétiseur
entièrement custom qu’il désirait. C’est E-Mu qui fournira les
codes nécessaires à l’unification de l’ensemble et Andreas Bahrdt
recevra pour mission d’élaborer la console (en perspex transparent) et la
programmation finale de ce qui s’appellera dès lors
le « Synthi ». C’est ce Synthi, plus tard vendu par Peter
Baumann à Patrick Mimran, qui servira de base au futur Bart. Et pour bien faire
les choses, Patrick Mimran fera de nouveau appel à Andreas Bahrdt pour
qu’il lui construise la machine de ses rêves. En fait, ce qui manquait au
Synthi pour être réellement une machine hors paire était un séquenceur à la
hauteur de ses possibilités sonores. C’est ce que Patrick Mimran
s’emploiera à bâtir avec l’aide d’Andreas Bahrdt, additionné
d’une sérieuse refonte de la partie sonore de la machine. Le résultat
final, commandé par un ordinateur Hewlett-Packard placé dans un rack de 2
mètres de haut, fut nommé « Le Bart » en l’honneur
d’Andreas Bahrdt.
* Brève
description de ce qu’était le Bart :
- 16
voix analogiques comprenant chacune 2 vco, 1 high/low pass filter, 1 ring
modulator, 1 noise generator (bruit blanc ou rose), plusieurs enveloppes, 1
mixer etc…
-
Deux fois 999 sons pouvaient être mis en mémoire.
-
Séquenceur sous la forme d’une page de 16 pas sur douze de haut
(soit les douze demi tons de la gamme) avec en dessous des triggers
pour le déclenchement des notes et en dessous d’autres rangs pour
les octaves, chaque page ayant quatre modes 1 2 3 et 4, le mode 1 étant le mode
normal, le mode 2 subdivisant les notes par deux (c’est à dire
qu’une blanche devenait une noire), le mode 3 s’employant pour les
triolets etc, deux mémoires principales pouvant contenir chacune 999 pages. Et
bien sûr il y avait 16 pages pouvant être programmées pour chacune des 16 voix,
chaque page pouvant être copiée, et placée n’importe où au sein de la
partition, des blocs entiers de musique programmée pouvant également être
déplacés et collés. Au début de chaque nouvelle page, le son pouvait être
changé ainsi que les modes 1 2 3 et 4. De plus, un système permettait de petits
changements aléatoires concernant le déclenchement et la durée des notes. Des
accords pouvaient aussi être programmés selon un très grand nombre de
possibilités prédéfinies. Une fonction permettait également de programmer des
rythmes de batterie sur la page du séquenceur. En résumé, chaque page du séquenceur
comportait plusieurs couches superposées : une pour les notes, une pour
les accords, une pour les rythmes, une pour les vélocités, une pour les
ouvertures/fermetures de filtres etc...
-
Fonction FM, plus tardive et provenant d’un Synclavier.
- Sorties midi destinées à
contrôler des synthés externes, les sorties midi étant connectées à un routeur
midi 128 câbles midi in et 128 câbles midi out pour un total de 2048 canaux in
and out .
-
La fonction sampling, bien que prévue et espérée, ne fut finalement
jamais développée.
Une fois, une de mes
trouvailles fut à la limite entre le fascinant et l’inconcevable. Je veux
parler de ce disque du Yellow Magic Orchestra où apparaît au dos de la pochette
la feuille de leur contrat d'assurance concernant leur matériel et sa liste.
C'est bien simple, les trois membres du groupe y ont chacun de quoi équiper
généreusement un groupe comme Tangerine Dream. Des Moog modulaires comme s'il
en pleuvait et une liste d'autres instruments électroniques si longue qu'elle
tient à peine en petits caractères sur la pochette. Mais le meilleur de
l'histoire, c'est qu'il y a les prix de chacune des machines, en yen bien
évidemment puisque le groupe est japonais. Je me suis amusé un jour à traduire
en francs le total figurant au bas de la page de la police d'assurance :
cela frôlait à l'époque les deux millions de francs !
Mais hélas ! trois fois hélas ! depuis l'avènement du CD, ce style de fouille
passionnée et de chasse au trésor est devenue quasiment impossible. Car, outre
la taille nettement moins grande des pochettes des CD et une tendance très
marquée à ne plus décrire les instruments utilisés, la technologie de la
musique électronique d'aujourd'hui a tout simplement été révolutionnée par
rapport à celle existante lors des années du roi Vinyl. Maintenant tout le
monde ou presque emploie, pour cette musique, des ordinateurs sur lesquels
tournent des séquenceurs et des synthétiseurs sous forme logicielle. Quel
intérêt dès lors de dire sur la pochette d'un CD que l'on est équipé d'un PC
sur lequel tournent Cubase et quelques émulations de Minimoog, de Prophet 5 ou
de DX7. Tous les musiciens qui ont un home-studio ont peu ou prou la même
configuration de travail ! Bien sûr, chacun aura sûrement à côté de cela un
Juno 6, un SH-101, un Korg MS-20 ou quelque autre petit synthétiseur
analogique. Mais ceci méritera-t-il une mention sur la pochette du CD ? Rien
n'est moins certain...
Finie donc la traque enfiévrée du gros Moog ou de l'ARP 2600 sur une pochette,
terminée la recherche experte du synthétiseur fabriqué à seul exemplaire... Les
pochettes des CD d'aujourd'hui sont comme des énigmes muettes...
Heureusement, les vieux disques vinyl se vendront d'occasion encore pendant
longtemps...
Tiens, dès demain je retourne chez parallèles... Peut-être auront-ils mis en
rayon de nouveaux disques...
© Frédéric Gerchambeau
Cliquez ici pour lire : Souvenirs... Souvenirs... (7)
Pour m'écrire : Frédéric Gerchambeau
Pour retourner à la page centrale : --- Il n'est jamais trop d'Art....---